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Accompagner un mentoré jusqu'à la fin de son rêve

Auteur: Pierre Chagnon, mentor (Mentorat Chaudière-Appalaches, membre du comité perfectionnement de SAGE et formateur au Réseau M)

Ma dernière dyade vient de se terminer à la suite de la faillite de l’entreprise. Ce fût une dyade pleine d’émotions!

C’est la fin de deux années de rencontres mentorales avec un entrepreneur audacieux. J’en ai profité pour faire un retour sur mon accompagnement comme mentor. Ai-je bien joué mon rôle? Est-ce que j’aurais pu faire plus? Ce sont les premières questions qui me sont venues.

Je vous épargne le contexte et la complexité du dossier, mais avec un recul et après y avoir bien réfléchi, je conclus que je n’aurais pas pu faire plus et ça me réconforte. En effet, il y une partie de moi qui se sent responsable des résultats. Je sais bien qu’on doit demeurer détaché des choix de nos mentorés et des résultats qui en découlent. C’est dans mon ADN et je n’y peux rien. Cependant, cette réflexion me soulage de cette responsabilité mal placée.

Lorsque j’ai été jumelé à Steeve (nom fictif), il dirigeait une entreprise en forte croissance, jouissant d’un succès indéniable. Puis, il y a eu l’acquisition d’une autre entreprise prometteuse. C’était l’euphorie. Au fil du temps, Steeve est passé d’euphorique à inquiet. Le développement était plus long que prévu, la main-d’œuvre qualifiée était rare, les revenus anticipés n’étaient donc pas au rendez-vous. Le doute s’est installé et Steeve ne dormait plus bien.

Mon rôle de mentor était précieux pour lui. Chaque rencontre lui était bénéfique et lui redonnait confiance. Une partie importante de mon rôle était de l’écouter, d’être son confident, de le laisser s’exprimer, de lui permettre de ventiler sa pensée. Je devais aussi le ramener sur terre lorsqu’il dérapait. Je l’encourageais, le rassurerais, je voulais le calmer et lui donner de l’espoir.

Les problèmes financiers s’accumulant, Steeve s’accrochait et se débattait avec toute l’énergie qu’un jeune entrepreneur est capable de déployer. Il tirait dans tous les sens. Il paniquait. Le voyant ainsi, je me demandais comment bien jouer mon rôle. Devait-il continuer à se battre ou lâcher prise?

On a donc regardé la situation telle qu’elle était. On a ensuite analysé les options qui s’offraient.

S’accrocher, embaucher un expert en redressement, trouver un investisseur, faire une proposition ou une faillite. S’il y a un moment où l’accompagnement d’un mentor est important, c’est bien ici. Effectivement, en plus de paniquer, Steeve vivait un sentiment d’échec, il ne s’aimait pas, il se sentait seul, démuni, frustré. Bien qu’impuissant, j’étais une oreille attentive, je tentais de le ramener à la logique, à la résilience et de lui donner espoir pour le futur.

Puis la décision est tombée : Faillite. On a alors eu une rencontre (que je croyais ma dernière) où l’émotion de Steeve était à son comble.

À la fin de cette rencontre, j’ai demandé à Steeve « Est-ce que c’est notre dernière rencontre?». À ma grande surprise, il m’a immédiatement répondu « non », j’aimerais qu’on se revoie après la rencontre avec les créanciers.

On a donc eu cette autre rencontre et on en a profité pour faire le point.

  • Qu’est-ce que tu as appris de ton aventure?
  • Si c’était à recommencer, qu’est-ce que tu ferais différemment?
  • Qu’est-ce que le mentorat t’a apporté?

De mon côté, je me suis demandé si j’ai suffisamment questionné et suffisamment compris le modèle d’affaires de Steeve. Jusqu’où dois-je me rendre dans cette compréhension sans déborder de mon rôle de mentor? Je n’ai pas de réponse. Cependant, j’ai compris l’importance d’accompagner un mentoré jusqu’au bout de son rêve. J’ai senti jusqu’à la fin que j’étais utile et apprécié. Je me sens même privilégié d’avoir permis à Steeve de partager son vécu avec moi.

On est arrivé tous les deux à la conclusion que la somme des apprentissages, combinée à l’expérience acquise ont apporté à Steeve une valeur qui va au-delà des pertes financières. Steeve se sent prêt pour de nouveaux défis et il a hâte de se relancer en affaires.

J’admire la capacité de résilience de Steeve qui, malgré la fatalité, est prêt à rebondir à nouveau. J’ai particulièrement apprécié cette dyade.