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Les banques à vos pieds avec la méthode Syn-op

La méthode Syn-Op

Claude Ananou a fondé et dirigé plus d’une dizaine d’entreprises. Il est également administrateur au sein du conseil d’administration de la Fondation de l’entrepreneurship. Il est coauteur avec Louis-Jacques Filion (HEC) du livre « De l’intuition au projet d’entreprise »

Quelle est votre perception de l’entrepreneuriat au Québec?

Bien que les Québécois soient très créatifs en ce qui concerne les inventions, ce n’est pas le cas en matière d’innovations. On connait tous un « patenteux », mais leurs inventions ne trouvent pas toujours preneur… En contrepartie, innover signifie répondre à un besoin avec une approche nouvelle – ce pour quoi le Québec est doué en culture, notamment. C’est là toute la différence. Un exemple? Guy Laliberté a innové dans le milieu du cirque, mais il n’a pas inventé le cirque…

Le parcours historique des Québécois et les valeurs inculquées de génération en génération ne nous ont pas amenés à développer notre sens aigu de l’innovation et à entraîner notre muscle de la créativité, ni à assembler les éléments présents dans notre environnement pour créer un « patchwork » unique – un projet d’entreprise – canalisé vers un réel besoin.

Ce qui est plus important pour les Québécois, c’est l’égalité, l’humilité, la modestie. On se contente de peu et on en est fiers. Viser trop haut, ou pire, plus haut que les autres, c’est mal perçu. On n’aime vraiment pas sortir du lot. Or, entreprendre, c’est faire des omelettes. Et pour faire des omelettes, il faut casser des œufs : prendre sa place, se faire entendre, se vendre, croire en ses forces et même parfois écorcher certaines personnes au passage de façon intentionnelle ou non. Quand on « brasse des affaires », ça peut déranger. Or, l’entrepreneur doit sortir des sentiers battus, être marginal, se démarquer, être original pour ne pas dire anormal (et si vous regardez la définition de ce mot dans un dictionnaire, vous constaterez qu’elle est beaucoup plus positive que la définition du mot normal!). Malheureusement, les valeurs de modestie prennent trop souvent le dessus sur notre côté entreprenant.

Dans votre livre, un chapitre complet est consacré à la génération montante, les Y, et à l’entrepreneuriat. Vous rendent-ils optimistes pour l’avenir de l’entrepreneuriat?

Tout à fait. La culture des Y – leurs valeurs, leur vision du travail, leur confiance en soi, leur goût du défi – démontre que leur muscle de la créativité, leur nerf du risque et leur sens de la curiosité sont déjà bien développés. Les Y vivront la révolution du monde du travail – et même qu’ils la provoqueront en quelque sorte. La courbe des travailleurs autonomes est déjà en hausse, les Y demeurent en poste en moyenne 28 mois seulement, la mobilité du travail s’accroit sans cesse grâce aux technologies et de plus en plus, les individus sont des micro-entreprises en soi. Je prévois même qu’avec le temps, les mots salariat, salaire et employé vont disparaître! La courbe normale de croissance, c’est d’abord d’être travailleur indépendant – d’aller de contrat en contrat comme salarié. Avec le temps, plusieurs deviennent des travailleurs autonomes, notamment pour être rémunérés à leur juste valeur. Puis les mandats se multiplient et on engage des assistants : on devient micro-entreprise. Et ainsi de suite : on passera de Micro à TPE, de TPE à PE, à ME, etc. Et au lieu d’embaucher à temps plein, les employeurs achèteront les services de ces entreprises.

Votre livre parle d’abord et avant tout de la méthode Syn-Op, une alternative au plan d’affaires, lequel vous qualifiez d’aberration. Pourquoi?

Écrire une recette n’a rien à voir avec cuisiner. C’est la même chose pour le plan d’affaires, qui n’apprend en rien à entreprendre, garantissant encore moins le succès du projet. Dans la vie, que ce soit lorsqu’on apprend à marcher ou à cuisiner, on commence par un pas, par une recette de biscuits que l’on modifie en fonction de ce qu’on a sous la main. Ce devrait être exactement la même chose en démarrage d’entreprise, surtout pour les nouveaux entrepreneurs.

Avec le plan d’affaires, on perd « l’esprit » et « les réflexes ». On se concentre sur les fonctions de gestion. On essaie de diminuer le risque au maximum en faisant des scénarios, mais c’est un processus vain! Parce qu’on passe des heures à écrire l’avenir, lequel est fait d’inconnu et d’incertitudes qu’on ne peut pas prévoir. On analyse et décrit un marché qui, dès que nous y aurons mis le pied, sera déjà différent. On devrait plutôt développer les aptitudes, apprendre à s’adapter aux événements imprévus, à analyser l’environnement, à saisir les opportunités inattendues et à réagir rapidement aux aléas de la vie d’entrepreneur.

Écrivez-moi le meilleur plan d’affaires, raflez tous les prix, dans tous les concours parce que vous avez « écrit la bonne recette », mais tant que vous ne l’avez pas testée, vous ne savez pas si ça fonctionnera et si vos invités l’aimeront. Tout ce temps-là, vous l’avez perdu à construire une illusion. Mais la réalité, c’est que même avec le meilleur plan d’affaires, votre entreprise n’est toujours pas née. Vous n’avez toujours jamais cuisiné.

Grosso modo, qu’est-ce que la méthode Syn-Op?

La méthode Syn-Op réinvente le démarrage d’entreprise : amenez les banques à vous prêter avant même que vous ne l’ayez demandé. Comme pour le plan d’affaires, la méthode Syn-Op vous amène à réfléchir à votre projet, mais à la différence que vous devrez tout de suite tester vos hypothèses de façon à adapter votre idée si vous n’obtenez pas la réponse escomptée. Avec la méthode Syn-Op, vous aurez les deux mains dans la farine dès le départ. Vous serez confrontés à une série de RDA – réflexion, décision, action. Et vous ne passerez pas à l’étape suivante à moins d’avoir quelque chose de satisfaisant à l’issue de votre processus RDA. Au lieu de vous enfermer pour écrire des pages et des pages de prévisions fabulées, vous développerez votre réseau de contacts, vous rencontrerez vos concurrents et vous aurez même déjà des clients. Vous pourrez tester la demande, adapter votre offre et… encaisser vos premiers revenus. Et que font les institutions financières lorsqu’elles vous voient arriver avec des chèques à déposer? Elles vous veulent comme client! Elles vous offriront alors une petite carte ou marge de crédit, avant même que vous n’ayez exprimé le besoin. À leurs yeux, vous serez déjà un entrepreneur – et pas seulement un aspirant entrepreneur avec un beau plan d’affaires. Bien sûr, elles ne vous prêteront pas 100 000 dollars dès le départ! D’où l’importance de commencer petit. Après tout, toutes les entreprises ont commencé dans leur rue : Coca-Cola, Bombardier, Facebook, Google. Un projet de restaurant? Commencez par un service de traiteur, testez vos plats à la maison, avec vos amis : seraient-ils prêts à payer pour ça? Du coup, l’entrepreneuriat devient plus accessible pour les gens moins prêts à vivre avec l’incertitude et le risque financier!

Tout au long du processus, vous monterez ce qu’on appelle un « dossier d’opportunité », vous rassemblerez des preuves que votre projet est viable, qu’il y a un réel besoin. Toute l’information récoltée, vous la présenterez de la façon qui vous plaira : schéma, collage, multimédia, etc. Vous créerez votre « patchwork » en fonction des éléments recueillis dans votre environnement. Ça semble plus amusant que le plan d’affaires, n’est-ce pas?

À qui s’adresse votre livre?

À tout le monde. Nous avons tous en nous une graine d’entrepreneur. J’ai comme mission d’en devenir le jardinier, c’est-à-dire d’en arroser le plus grand nombre pour les faire germer. Tout le monde peut entreprendre. Il suffit d’entreprendre à son niveau, en fonction de sa sensibilité au risque. Commencer petit et développer son muscle de la créativité, aiguiser sa curiosité et se « désensibiliser » tranquillement à la peur de l’incertitude et de l’inconnu, notamment en vivant des succès (et peut-être quelques échecs) et en prenant confiance.
À tous les conseillers qui accompagnent les entrepreneurs. Ceux qui travaillent dans le réseau d’aide et de soutien à l’entrepreneuriat et ceux qui leur enseignent. J’aimerais qu’ils passent de conseillers à « jardiniers », j’aimerais qu’ils travaillent davantage sur le « senti », qu’ils coachent leurs entrepreneurs en fonction de leur personnalité, de leur résistance au risque, de là où ils sont rendus au lieu d’appliquer une même recette (le plan d’affaires) pour tout le monde.
À tous les bailleurs de fonds. J’aimerais qu’ils adaptent leur vision du plan d’affaires, qu’ils soient ouverts à se faire présenter un dossier d’opportunité au lieu du traditionnel plan d’affaires.

Si vous n’aviez qu’un seul message à passer aux aspirants-entrepreneurs, quel serait-il?

Mon message est le suivant : tout le monde peut entreprendre! Il suffit d’identifier notre sensibilité aux 6 niveaux d’incertitudes (financier, temps, santé, famille et vie sociale, notoriété, estime de soi) et de trouver un projet qui correspond à ce qu’on est prêt à investir et à risquer de perdre. Entreprenez comme vous êtes… et oubliez les tests des qualités pour être entrepreneurs : on tue des Mozart avec ces règles rigides.