Skip to Content

Une boussole pour son intuition

Le Réseau M était présent au World Business of Ideas (WOBI), les 14 et 15 novembre 2018 à New York. L’article suivant est inspiré de la conférence de David Kahneman, psychologue et économiste, professeur à l'université de Princeton et lauréat du prix Nobel d'économie en 2002 pour ses travaux fondateurs sur la théorie des perspectives, base de la finance comportementale.

Naviguer parmi le bruit

Avec l’arrivée d’Internet, il y a plus de trois décennies, nous sommes entrés dans une ère d’infobésité. Le terme, maintenant suranné, représentait pourtant les prémices d’un ensemble de théories et de techniques dont ni vous ni moi ne connaissons encore toutes les applications ni les limites : l’intelligence artificielle.

En tant qu’être humain, comment pouvons-nous nous positionner face à ce tsunami dont nous ressentons encore à peine les premières ondes sismiques? Avec ce qui nous rend essentiels et uniques, mais aussi vulnérables : notre intuition.

La conférence de David Kahneman avait ceci de particulier : elle tentait de démystifier comment il est possible contrer les « effets néfastes » de l’intuition. Car pour ce lauréat du Nobel de l’économie, « l’humain est définitivement un ‘animal’ preneur de risque et pour lequel l’optimisme est génétique ».

Bonne nouvelle pour nos entrepreneurs qui en sont profondément dotés? Oui, s’ils possèdent aussi une certaine boussole pour mieux se diriger, comme nous le verrons plus loin. Car à priori, cette confiance exubérante qui se cache souvent derrière l’intuition ne garantit pas l’acuité de nos décisions. Selon Kahneman, « bien souvent, l’intention est en fait le produit d’une histoire cohérente que nous nous construisons mentalement, au fur et à mesure, et qui ne témoigne pas nécessairement de la qualité des faits que nous détenons réellement pour prendre une décision. L’intuition est une prise de décision que nous nous expliquons a posteriori. »

À titre d’exemple, Kahneman réfère à ses travaux auprès de compagnies d’assurance pour qui « l’imprécision de l’intuition » peut avoir de réels impacts sur les résultats financiers de ces entreprises. En effet, selon ses travaux, en l’absence de systèmes de règles préétablis et soutenus par des procédures informatiques, les décisions prises par un humain peuvent varier jusqu’à 50 % par rapport à un autre individu au sein de la même entreprise!

Les algorithmes qui caractérisent l’intelligence artificielle éliminent ce soi-disant bruit dans les processus décisionnels. Comment alors, comme humain, exercer notre pouvoir si unique de l’intuition et naviguer dans cette mer de bruit ? Comment prendre des décisions le plus rationnellement possible? En s’ouvrant à toutes les informations qui pourraient venir compléter le portrait que nous nous faisons d’une situation. En prenant du recul et, lorsque possible, du temps pour réfléchir. Difficile pour moi de ne pas ajouter (même si ce ne fut pas du tout évoqué par Kahneman) : en en parlant avec son mentor!

Comment garder le cap?

Il est possible de se prémunir contre cette déroute que peut parfois causer notre intuition. David Kahneman évoque ici plusieurs façons de faire que je cite :

  • Si votre équipe doit prendre une décision importante dans le cadre d’une réunion, tentez d’obtenir le vote de tous les participants AVANT la tenue de cette réunion. Cela les obligera à se préparer, car ils voudront se porter garants de leurs opinions et de la décision qu’ils ont prise. En effet, plus une décision est imminente, plus l’humain a naturellement tendance à se conformer à cette décision.
  • Si vous avez une décision d’embauche à prendre, prenez du recul en incluant d’autres personnes dans votre processus décisionnel. Si vous vous laissez totalement guider par votre intuition, vous serez dans un mode où vous perdrez votre temps à vouloir confirmer votre décision plutôt qu’à réellement apprendre de la situation.
  • Vous devez évaluer la performance de l’un de vos employés? L’analyse par le simple résultat du travail de cette personne risque de créer une situation où la malchance est pénalisée, et la chance récompensée. Tentez également d’évaluer le processus (le chemin) emprunté par la personne pour arriver à son résultat.
  • Faites un pre-mortem d’une décision importante que vous vous apprêtez à prendre. Sur une feuille blanche, imaginez que l’exécution de votre décision ait provoqué un désastre… Quelles suppositions ont pu mener à une telle situation ?
  • Vous avez des pessimistes (des « chapeaux rouges ») dans votre équipe? Ils sont beaucoup plus importants que vous ne le croyez et peuvent vous donner ce supplément d’informations nécessaires face à une décision importante. En fait, Kahneman prétend même qu’il faudrait chérir ces individus!

Avec un peu de recul, je considère que la conférence de Kahneman ne peut qu’être une perche tendue vers notre univers du mentorat pour entrepreneurs. Il m’apparait évident que les mentors ont aussi un rôle à jouer dans ce processus de l’intuition si intrinsèque à tous les entrepreneurs qu’ils accompagnent. Les mentors offrent un temps de réflexion, un « arrêt sur image ». Ils offrent parfois des informations additionnelles sous la forme de leur propre expérience entrepreneuriale. Enfin, et c’est de la plus haute importance, ils offrent un espace neutre où les entrepreneurs peuvent verbaliser toutes les variantes possibles d’une potentielle décision (un pre-mortem, en quelque sorte…).

Les mentors sont les gardiens de cette question si essentielle permettant aux entrepreneurs de naviguer en dépit du bruit de leur propre intuition : « Et si...? »

 

Par Rina Marchand, Directrice Contenus et Innovation, Réseau M

 

Quelques lectures

Thinking Fast and Slow, Daniel Kahneman (et sa version française : Système 1 / Système 2 : Les deux vitesses de la pensée)

Thinking – The New Science of Decision-Making, Problem-Solving, and Prediction, collectif édité par John Brockman