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Distinguer un OBNL de la coopérative de producteurs, de solidarité ou de travail

Auteur: Paul Ouellet, chef mentor de la Cellule d'Économie sociale de Québec.

Lorsque nous sommes en contact avec de jeunes mentorés, il est important, sans devenir des experts des différentes formes juridiques, de bien connaître les particularités d'un organisme à but non lucratif (OBNL), d'une coopérative de producteurs, d'une coopérative de solidarité et d'une coopérative de travail. 

Nous pouvons alors susciter des réflexions sur le type de propriété et de gouvernance recherché. Si nécessaire, il nous restera à diriger le mentoré vers les organismes conseils que sont les PME-Montréal, CDEC, Coopérative de développement régional du Québec (bureaux régionaux répartis au Québec), SADC et autres organismes. Comparons les différents statuts.

 

Organisme à but non lucratif : troisième partie de la Loi des compagnies

Ce statut existe depuis fort longtemps probablement depuis la naissance du premier YMCA.Il permet à quelques personnes (minimum trois) de créer très rapidement une association de personnes pour prendre en charge un besoin de société (ex : Orchestre symphonique de Montréal) ou combler les besoins d'un groupe de personnes qui peinent à prendre en charge par eux-mêmes la résolution de leurs besoins spécifiques (ex : les entreprises d'insertion en emploi comme Renaissance Montréal, Insertech, Recyclage Vanier). Les OBNL se retrouvent dans tous les secteurs d'activité: théâtre, clubs sportif, camps de jeunes, résidences pour personnes âgées, entreprises en travail adapté, centres touristiques. Les administrateurs se regroupent donc afin d'agir pour un groupe de personnes en difficulté ou pour développer une activité éducative, culturelle, environnementale, sportive, d'entraide, d'éducation, etc. Il existe donc près de 18 000 organismes à but non lucratif au Québec. Parmi ces organismes, un certain nombre fonctionne sur une base entrepreneuriale en recherchant une viabilité financière par la vente de produits et services.

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Du point de vue légal, l'assemblée générale d'un organisme à but non lucratif a des pouvoirs très limités : élire les administrateurs du conseil d'administration, ratifier les règlements, nommer le vérificateur et recevoir rapports et bilan. À l'exception de deux articles qui spécifient que chaque membre a droit à un seul vote et que les profits annuels ne peuvent être remis aux membres, ces organismes sont régis par les règles générales de la Loi des compagnies. Ils peuvent donc avoir des activités commerciales, faire des profits, accumuler des fonds pour des projets futurs et se constituer un avoir propre. Comme la Loi des compagnies ne spécifie pas qu'en cas de dissolution, il est requis que les actifs et avoirs doivent être transférés à un autre OBNL, il est recommandé de le préciser dans les statuts au moment de l'incorporation ou à tout le moins dans les règlements généraux.

Le faible niveau d'encadrement juridique fait en sorte qu'il appartient aux membres fondateurs de déterminer le membership de l'organisme qui peut varier entre trois membres au minimum, lesquels peuvent demeurer en poste à vie, ou se déployer démocratiquement pour atteindre des milliers de membres. Voilà pourquoi un OBNL peut se déployer comme un club privé et fermé de trois personnes ou comme une organisation démocratique à vocation commerciale.

Le statut d'organisme à but non but lucratif offre, à certaines conditions, la possibilité d'obtenir un numéro de charité de Revenu Canada et d'émettre des reçus fiscaux contre réception de dons de Fondations, entreprises ou individus. Cependant, tous les OBNL ne se qualifient pas pour obtenir ce privilège d'émettre des reçus de charité. Cela n'est permis qu'aux OBNL qui ont des activités de bienfaisance. Plusieurs OBNL à vocation entrepreneuriale n'oeuvrent pas dans l'assistance et la bienfaisance et ne peuvent en conséquence obtenir un tel droit.

Dans la mouvance du développement communautaire, depuis plus de vingt ans, l'entité juridique OBNL est très souvent utilisée pour démarrer des projets dans les quartiers urbains défavorisés et les territoires dévitalisés du Québec. Il l'est aussi pour agir sur des enjeux de société très actuels: écologie, environnement, santé, logement social, activité physique, etc.

Au fil de ces décennies, tel qu'affirmé précédemment, un certain nombre d'organismes à but non lucratif ont développé par la vente de produits et services une approche entrepreneuriale. Leur recherche d'autonomie financière s'est concrétisée dans des ententes contractuelles avec des institutions publiques et parapubliques ainsi qu'avec des clients d'affaires. Le CAA en est un bon exemple. Ces OBNL entrepreneuriaux se retrouvent dans plusieurs secteurs :  culture, festivals, employabilité, services de proximité, groupes de ressources techniques en habitation, environnement, etc. Ces organismes se sont structurés avec une véritable gouvernance démocratique et une culture entrepreneuriale forte. Ce sont des entreprises à propriété collective comme le sont les coopératives.

C'est ainsi que des organismes à but non lucratif du Québec se réclament de l'économie sociale notamment ceux qui, tout en poursuivant une mission sociale, culturelle et/ou environnementale ont des activités marchandes de vente de produits et services.

Les exigences légales de gouvernance sont très limitées pour un organisme à but non lucratif : les pouvoirs relèvent du conseil d'administration. Influencés par des aspirations démocratiques et par la volonté de développer le pouvoir d'agir, plusieurs organismes à but non lucratif se sont donné des modes de gouvernance plus démocratiques que ne l'exige le cadre légal, incluant la représentation de bénéficiaires et/ou de travailleuses et travailleurs au conseil d'administration et le vote d'orientations stratégiques en assemblée générale. Ces nouvelles pratiques ne s'enracinent pas dans le cadre juridique de la Loi des compagnies mais relèvent soit de la volonté des administrateurs, soit de règles externes de financement ou de subventions et le plus souvent des deux.

Le choix du statut OBNL est aussi souvent lié à des politiques gouvernementales, notamment en culture. Plusieurs ministères, agences et municipalités ne versent de subventions qu'à des organismes à but non but lucratif. Voilà pourquoi même des entreprises privées ont souvent des liens organiques avec un OBNL : Festival de jazz, Festival Juste pour Rire, etc. Il existe donc dans le domaine de la culture des OBNL qui sont en interface avec des entreprises privées.

En dehors des exigences gouvernementales, on pourrait dire que le statut  "à but non lucratif " convient bien lorsqu'il faut que des personnes se mobilisent pour agir pour d'autres personnes ou pour une cause sociale, culturelle ou environnementale. Nous sommes alors dans le pouvoir d'agir pour d'autres, pour des bénéficiaires. Le plus souvent, les administrateurs ne sont pas bénéficiaires des produits et services offerts par l'organisme à but non lucratif.

Parmi tous les OBNL du Québec, retenons qu'un certain nombre peuvent revendiquer le titre d'entreprise d'économie sociale lorsqu'ils visent la production de biens et services au profit de clientèles spécifiques ou d'une communauté locale. S'il est très facile de démarrer un OBNL, il est plus difficile de décider à quelles fins et selon quelles modalités l'opérer.

Conclusion, il est primordial que les personnes fondatrices d'un OBNL prennent le temps de bien préciser si leur projet en est un de bienfaisance avec ou sans numéro de charité ou plutôt un projet entrepreneurial à vocation sociale, culturelle ou environnementale. En conformité, il faudra aussi préciser le membership, le statut des membres fondateurs et la réglementation qui encadrera leur fonctionnement. Un OBNL peut se refermer sur ses trois membres fondateurs comme s'ouvrir à un membership élargi en fonction de ses objectifs, de ses valeurs, de son besoin de notoriété et de l'efficience recherché.

Un mentor peut soutenir par ses questions la réflexion sur les choix qui s'offrent.

 

La Loi des coopératives 

Cette loi n'est pas une partie de la Loi des compagnies mais bien une loi spécifique qui détermine un tronc commun à toutes les coopératives et précise les particularités des différents statuts : coopérative agricole, scolaire, d'habitation, de consommateurs, de producteurs, de travailleurs actionnaires, de travail et de solidarité. Une autre loi spécifique existe pour les services financiers.

Dans une coopérative, le pouvoir d'agir appartient aux membres de la coopérative, c'est-à-dire à ceux et celles qui reçoivent les services de la coopérative soit comme consommateurs, salariés ou producteurs. Le lien qui relie les membres à leur coopérative est le droit d'usage. Les administrateurs au conseil d'administration sont donc des usagers et ceux-ci doivent toujours être majoritaires au conseil d'administration. Même dans une coopérative de solidarité, les représentants du milieu ne peuvent détenir plus du tiers des sièges. Nous ne sommes plus dans le pouvoir d'agir pour d'autres mais dans le pouvoir d'agir pour soi, un soi individuel et collectif. Cette particularité n'empêche en rien d'avoir une mission sociale, culturelle ou environnementale. D'ailleurs, de plus en plus de jeunes créent des coopératives pour travailler autrement et/ou agir professionnellement sur des enjeux sociaux, culturels et environnementaux.

L'encadrement légal des coopératives est très précis en ce qui a trait aux droits et pouvoirs des membres et la loi affirme avec clarté qu'il s'agit dans tous les cas d'entreprises.

Article 3 de la Loi :  une Coop. = " des personnes ou sociétés qui ont des besoins économiques, sociaux ou culturels communs et qui, en vue de les satisfaire, s'associent pour exploiter une entreprise."

La Loi des coopératives prévoit l'obligation de constituer une réserve. Elle donne le droit de ristourner à ses membres à l'exception des représentants du milieu dans le cas d'une coopérative de solidarité.

Cette affirmation du caractère entrepreneurial des coopératives a pour effet direct qu'elles ne peuvent obtenir le privilège de Revenu Canada d'émettre des reçus de charité. Elles n'agissent pas dans la bienfaisance. Elles agissent en entrepreneuriat dans la prise en charge collective. Elles sont aussi souvent exclues de différents programmes de subventions tant dans le domaine culturel que communautaire.

 

Coopérative de producteurs, de solidarité et de travail

Compte tenu que cette présentation s'adresse d'abord aux mentors, voici trois statuts de coopératives qui peuvent intéresser plus particulièrement les jeunes 18-34 ans. Les articles citées réfèrent à la Loi des coopératives.

La coopérative de producteurs 

Article 193.1 Une coopérative de producteurs est celle dont l'objet principal est de fournir à ses membres, qui sont des producteurs au sens de l'article 193.2 des biens et de services nécessaires à l'exercice de leur profession ou l'exploitation de leur entreprise.

Article 193.2. Un producteur au sens de la loi est : "Une personne ou société qui assure la prestation de services ou de la production de biens dans le but d'en tirer ses moyens d'existence ou ses principaux revenus d'entreprise ou de profession."

Dans le domaine agricole, nous retrouvons plusieurs coopératives de producteurs comme la Coop.-Fédérée, la Coopérative des producteurs de sirop d'érable, de chaux, etc. Maintenant, il en existe dans d'autres domaines : coopérative des librairies indépendantes, coopérative d'humoristes, coopératives de chauffeurs de taxis., ...

Ce modèle convient bien à des travailleurs autonomes pour leur permettre de sortir de l'isolement, de se donner des services communs, de développer de nouveaux marchés. N'est-ce pas un modèle qui devrait être présenté dans plusieurs facultés universitaires comme les arts, l'architecture, l'alimentation, l'éducation physique, la musique, etc.

 

La coopérative de solidarité

Cette forme de coopérative existe depuis peu au Québec et a comme particularité de regrouper comme membres, différents groupes de personnes au sein de l'entité juridique : les travailleurs et travailleuses de la coopérative, les clients et des partenaires. L'encadrement juridique est beaucoup plus précis que dans le cas des organismes à but non lucratif. Les prérogatives de l'assemblée générale aussi. Le statut entrepreneurial y est bien défini puisque sous certaines conditions, ces coopératives peuvent donner des ristournes à leurs membres, à l'exception des membres de soutien (partenaires du milieu).

Dans le cas d'une coopérative de solidarité, il est clair que chaque groupe représenté au conseil d'administration porte des intérêts particuliers qui, en contrepartie, ne peuvent se déployer que dans une spirale de collaboration et de prise en compte des intérêts communs qui justifient l'existence de la coopérative. À cet égard, les coopératives de services à domicile sont un bon exemple puisque l'on retrouve comme groupes constitutifs de ces coopératives : les clients, les préposées aux clients et des partenaires du milieu comme un CLSC, une association de retraités, un club de l'âge d'or. Autre exemple : une coopérative qui offre des services professionnels peut regrouper trois catégories de membres, les travailleurs salariés de la coopérative, les pigistes, des partenaires comme des représentants d'une chaire de recherche, des associations professionnelles  (urbanistes, géologues, etc.). Il ne peut jamais y avoir plus du tiers de membres de soutien (partenaires du milieu) au conseil d'administration.

 

La coopérative de travail

Cette entité juridique regroupe les travailleuses et travailleurs salariés d'une entreprise de production de biens ou services. Elle permet aux travailleurs de se verser par ristournes une partie des excédents générés par les activités commerciales de leur entreprise. Les règles d'intégration des nouveaux employés sont clairement définies dans la loi.

Sur le plan de la gouvernance, les membres travailleurs salariés sont toujours majoritaires au conseil d'administration. Dans les petites coopératives où les travailleurs sont peu nombreux, partagent le même métier et recherchent une forme d'autogestion ou de cogestion, le conseil d'administration est souvent composé uniquement de membres travailleurs. Par contre, dans les coopératives avec plusieurs catégories d'emploi et un nombre élevé de membres travailleurs, nous retrouvons très souvent des administrateurs externes en nombre minoritaire tel que le permet la loi. Ces administrateurs et administratrices ne représentent pas les clients ou les partenaires, ils participent à la gestion des intérêts de l'entreprise, fondée pour répondre aux besoins des travailleuses et travailleurs salariés de la coopérative.

Au Québec, plusieurs micro-brasseries appartiennent à la famille des coopératives de travail. On connaît aussi Promo Plastik, Construction Ensemble, Courant Alternatif et autres.

 

En conclusion

Dès que l'idée de créer une entreprise à propriété collective surgit chez une ou des personnes, une comparaison des avantages des différents statuts juridiques devrait faire l'objet d'une réflexion approfondie.

Ce n'est pas toujours le cas.

Comme mentor, nous pouvons être appelés à faire découvrir les premières différences entre les statuts puis à guider vers les ressources du milieu. Il est aussi possible qu'au fil des ans, des réflexions sur la gouvernance amènent à réévaluer les différents statuts juridiques.

Dans ce cas, le mentor a avantage à mieux connaître les caractéristiques propres à chaque statut non pas pour conseiller l'un ou l'autre statut, mais bien pour pousser la réflexion sur les avantages et inconvénients rattachés à chacun.